La Parole errante en temps de pandémie
Le 16 mars (!), le collectif la Parole errante demain tenait sa dernière assemblée hebdomadaire, en présence mais déjà « à distance », devant les escaliers de la Grande salle. C’était quatre jours après la décision prise avec les camarades de Paris Lutte Infos et de la coordination anti-répression d’annuler leur soirée de soutien.
Ce jour-là, suite à des échanges d’informations alors extrêmement fluctuantes, mais déjà parfaitement claires sur les (ir)responsabilités étatiques dans le désastre sanitaire, social et économique annoncé, nous décidons de suspendre toutes les activités publiques, tout en nous laissant la possibilité d’imaginer d’autres usages du lieu pour l’inédite période qui s’ouvre. Nous plaçons ainsi au premier plan notre responsabilité collective à prendre soin les un.e.s des autres et lutter contre la propagation du virus, et restons attentifs à l’émergence de nécessités et de besoins en temps de pandémie (fabrication de masques, de gel hydroalcoolique, dépôt, récupération, préparation et distribution de denrées alimentaires, etc.). De premières initiatives de solidarité en Italie, entrée depuis une semaine en confinement, figuraient déjà quelques orientations possibles, qui n’allaient pas tarder à se concrétiser ici, localement, particulièrement dans les zones les plus marquées par la précarité et la pauvreté. Comme en Seine-Saint-Denis.
Des activités se sont donc mises en route progressivement et avec prudence. Divers temps ont été nécessaires pour élaborer les ajustements pratiques indispensables à la mise en place de précautions sanitaires efficaces et partageables et échanger sur le bien-fondé et l’utilité des pratiques, gestes et règles à respecter. En somme un apprentissage collectif, une socialisation à des savoirs-faire, et dans un contexte d’état d’urgence « sanitaire », une amorce de critique en acte de la mesure gestionnaire du confinement.
A la Parole errante, cette reprise partielle s’est organisée autour d’un atelier de fabrication de masques situé dans l’entrée de la grande salle, et d’une relance de la Cantine, entièrement mobilisée dans la fabrication de repas distribués à l’extérieur (environ une centaine tous les deux jours). Dans les deux cas, cet élan a d’emblée rencontré des initiatives similaires (dépôts, récup’ et livraisons de nourriture, maraudes…) sur fond d’un réseau de camaraderies, d’amitiés politiques, de collectifs, d’associations, de lieux, de présences – qui sont en partie le legs des derniers mouvements (Loi Travail, Gilets Jaunes, lutte contre la contre-réforme des retraites), aussi bien que de strates collectives et militantes plus anciennes. En peu de temps, un territoire social et politique s’est reconstitué, grâce notamment au rôle de coordination que l’initiative des Brigades de Solidarité Populaire a joué de fait. Deux mois d’un confinement imposé « par le haut », aussi contradictoire que brutal, ont aussi entraîné la re-découverte à grande échelle des principales lignes de division de cette société. Revers subjectif de la « crise sanitaire », des pratiques de solidarité et d’entraide ont été renouvelées ou ont émergé. Est-ce l’amorce d’un cycle d’expérimentation politique à l’échelle de la ville et des quartiers, depuis des lieux de vie et d’activité, qui serait à même d’empêcher un « retour à l’anormal » placé plus que jamais sous le signe du sécuritaire ?
Si à l’échelle de la Parole errante, nous n’entrevoyons pour l’heure aucune reprise des événements publics avant septembre, dès aujourd’hui et dans les semaines qui viennent, aux côtés de nombreux autres, nous essaierons de faire vivre ces questions.
A bientôt.