2023, Brique par Brique
Tract lu et distribué le 24 novembre 2023 lors de « la rencontre nationale du foncier culturel », organisée au 6B à Saint-Denis par la structure « La Main, Foncièrement culturelle ».
Brique par Brique
Bonjour,
Nous intervenons aujourd’hui pour parler d’une réalité à la fois très en rapport avec les contenus thématiques de cette journée, et, en même temps, qui nous empêche de participer normalement à cette rencontre. Le programme parle en effet de « pérennisation des lieux », de « droit à la Ville », de « foncier solidaire ». Or nous sommes justement les usagers et usagères d’un lieu à Montreuil, la Parole errante, dont le propriétaire foncier n’est autre que le Conseil départemental de Seine St-Denis. Un propriétaire qui ne cesse d’éviter de répondre à la demande simple de celles et ceux qui font vivre ce lieu : le pérenniser en signant une « convention d’occupation » avec le collectif d’usager.es opportunément nommé « Parole errante demain ». Pour mémoire, la Parole errante est née dans un autre temps – les années 90 – quand le Conseil général du 93 accepta d’accorder à un homme de théâtre et son équipe la gestion autonome d’un grand espace en plein cœur de la Seine-St-Denis, pour des dizaines d’années. Une époque où Armand Gatti a pu ouvrir la porte à nombre de réalités sociales et politiques, sans avoir à demander l’autorisation de sa tutelle.
Depuis, les temps ont bien changé. Après la fin du bail en 2015 et la mort de Gatti en 2017, le propriétaire et conseil général de Seine-St-Denis n’a cessé de chercher à reprendre la main sur le lieu : « appel d’offres à repreneurs », « mission de préfiguration », ou même, plus innovant, « une médiation assurée par la Main 93 », initiatives toutes défaites par la résistance collective des usager.es ou par simple inertie administrative.Dans la suite des expériences initiées par Gatti, le collectif la Parole errante demain a appris à faire vivre le lieu. Depuis sept ans, c’est toute une multiplicité d’expériences et d’usages qui ont continué à fleurir. Par-delà les frontières établies entre culture, politique et social, nous avons cherché et continuons à chercher à construire un lieu respirable dans une métropole de plus en plus asphyxiante. Dessiner une autre ville, une autre géographie que celle imposée par les politiques urbaines et le projet du Grand Paris. Un espace tout à la fois d’accueil et d’activités, de ressource et de relais, où il est encore possible de répondre à des besoins qui ne trouvent pas leur place dans le monde de l’économie, même » sociale et solidaire ». Construire un lieu fait pour et par les usager.es et non pas un espace de prestation socio-culturelle avec ses « publics cibles ». Nous avons accueilli des expériences diverses : compagnies de théâtre à l’économie précaire, projections de films autoproduits, émissions de radios faites par les habitant-es de la ville, cours de sport inclusifs, séminaires de philosophie extra-universitaires… Différents collectifs de lutte et de solidarité ont organisé des soirées de soutien pour s’auto-financer. Des assemblées s’y sont constituées à maintes reprises, trouvant à la Parole errante un espace hospitalier et accessible au plus grand nombre, à partir duquel il est possible de s’organiser. Pas de vigiles ni de directeurs, mais un accueil inconditionnel, des prix libres, la possibilité d’être là sans motif – à rebours de la standardisation qui est à l’œuvre dans la plupart des espaces de la ville.Étonnement, depuis que nous avons proposé un conventionnement au Conseil départemental pour pérenniser ces usages – il n’y a pas moins de cinq ans déjà – celui-ci ne s’adresse plus à nous. À ce jour, il nous laisse aligner des briques alors qu’on ne sait pas si demain il viendra détruire les murs.Vous comprendrez donc bien que nous ne pouvons intervenir normalement à une journée de travail sur le foncier avec des partenaires publics sans évoquer le parc immobilier qu’ils détiennent. Nous savons toutes et tous ici que les collectivités territoriales disposent de bien des moyens pour soutenir les lieux en cas de véritable volonté politique – préemption par les municipalités, baux emphytéotiques, conventionnements de longue durée, reconnaissance du droit d’usage… Et qu’elles préfèrent trop souvent recourir à l’expulsion de tout ce qu’elles ne contrôlent pas. Il nous semble donc quelque peu indécent de venir écouter un grand propriétaire foncier comme le Conseil départemental se réjouir du recours au financement privé et autres crowfunding. Comment ne pas voir ici, la main pas si invisible du marché resserrer son étreinte sur l’action sociale et culturelle publique, détruisant ainsi toute possibilité d’invention et de construction par le bas ? De même, il nous semble impossible de parler de droit à la ville ou à la culture dans la métropole sans lutte active contre la gentrification et l’exclusion. Dans l’attente de signer un bail emphytéotique, nous restons à l’entière disposition de notre propriétaire afin de programmer un rendez-vous. En attendant et par la suite, nous continuerons à prendre la parole !
Bonne journée,
Le collectif Parole errante demain.