Communiqué : « Sur les TERFs, le fascisme et nos espaces »
Le weekend du 29-30 Juin 2024, nous accueillions à la Parole Errante le festival des Corps Lesbien.ne.x.s. Au cours de cet événement, célébration des identités et créativités LGBTQI+, une représentation théâtrale traitant des relations lesbiennes entre femmes cis et femmes trans (Te lécher jusqu’à m’étouffer: la bite des meufs et le lesbianisme de Floralie Resa) était programmée pour le dimanche 30 juin.
Cette pièce a très vite été repérée et affichée sur les réseaux sociaux par Dora Moutot, une militante TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist – Féministe Radicale Excluant les personnes Trans) afin d’appeler à sa perturbation. Cela soulevait pour nous une inquiétude légitime quant à un risque d’actions de la part de ses suiveur.euses.
Dans la nuit du 29 au 30, une équipe de cinq personnes a réalisé un collage transphobe dans le quartier de la PE : « La Parole Errante : pourquoi soutenez-vous les viols lesbophobes? » tout en y projetant de la peinture rouge, récupérant ainsi, de manière éhontée, le mode opératoire d’Act Up.
Le collage en question a été arraché dès le matin et nous nous sommes organisé.es avec le collectif accueilli pour que la journée se déroule au mieux, en essayant d’anticiper d’autres happenings ou attaques. Malgré tout, deux personnes dans le public ont réussi à perturber la pièce en criant, de manière énigmatique, « Libération homosexuelle ! » et en visant la scène et l’artiste avec des bombes de peinture rouge. Ces personnes ont été sorties du lieu sans ménagement.
Pourquoi choisir de raconter et mettre en avant ces deux actes ?
Ces actes relèvent du mode d’action favori des TERFs et autres « féministes » d’extrême droite : un happening rapide, espérant provoquer une réponse violente, ensuite utilisée pour se lamenter sur les réseaux sociaux et gagner ainsi en visibilité. Les ignorer semblerait être une réponse efficace, mais le silence contribue à leur laisser le champ libre.
Les offensives TERFs sont toujours plus fortes, plus présentes et le fait qu’elles se soient frayées un chemin jusqu’à la Parole Errante en est un signe supplémentaire. La visibilisation des thèses transphobes explose depuis plus d’un an, que ce soit sur les réseaux ou dans les médias traditionnels, particulièrement avec la sortie de l’infâme livre de Dora Moutot et Marguerite Stern. Mais la dynamique transphobe ne s’arrête pas aux mots : les agressions transphobes, et particulièrement transmisogynes, s’intensifient, comme en témoignent les meurtres de deux femmes trans, commémorés début juillet lors d’un rassemblement au Trocadéro.
Ces tendances se raccrochent à la dynamique de fascisation actuelle, en France et ailleurs
La transphobie est l’un des principaux fers de lance actuels des groupes d’extrême droite, un moteur de recrutement efficace en même temps qu’une passerelle théorique majeure. Car les TERFs, de Marguerite Stern à J.K. Rowling, consacrent la majeure partie de leur temps à la transphobie – mais ne laissent pas en reste le racisme. La plupart d’entre elles sont des militantes d’extrême droite à part entière, qui se font les relais actifs de paniques morales anti-« woke » voire de théories explicitement racistes, à l’instar du « grand remplacement ».
Tout cela est après tout logique : dans le racisme comme dans la transphobie, ce qui est recherché c’est la classification, le contrôle des corps et – en bout de course – leur élimination, symbolique ou physique. Les argumentaires biologisant fallacieux que présentent les TERFs sont cousins des théories raciales et de leurs corollaires essentialistes de préservation de la « pureté », qui érigent un « autre » comme danger permanent, menaçant par le simple fait d’exister un état originel imaginaire, racial ou sexuel.
Faire cette synthèse était justement l’objectif du groupe d’extrême droite « LGB » (acronyme éloquent) et nationaliste Eros lancé pendant la Pride de Paris ce même week-end du 29-30 juin 2024 – qui a été immédiatement confronté à une réponse antifasciste queer sans équivoque.
La transphobie s’infiltre dans toutes les discussions, tous les espaces
Aux JO, la polémique montée de toutes pièces visant la boxeuse algérienne Imane Khelif a occupé un espace médiatique énorme, bénéficiant de la complicité de certaines athlètes, du concours des gouvernements néofascistes italien et hongrois, et de personnalités transphobes de premier plan, parmi lesquelles JK Rowling et Elon Musk. S’attaquant aux femmes subalternes en jouant autant des préjugés transphobes que racistes (les femmes racisées ne seraient pas vraiment des femmes), le bloc réactionnaire parvient à imposer ses thématiques dans le débat public comme dans les discussions de comptoir.
L’extrême droite n’a toutefois pas le monopole de la transphobie et nos milieux n’en sont pas exempts. Que ce soit par méconnaissance ou par désintérêt savamment entretenus, nos colères politiques sont trop souvent délégitimées, caricaturées ou réduites à d’irrationnels coups de sang d' »angry trans people« . Pire encore, nos existences peuvent être l’objet de débats voire de théorisations ineptes reprenant des grilles de lectures essentialistes, naturalisantes, et in fine déshumanisantes, qui n’ont rien à envier à leurs corollaires d’extrême droite. Quiconque dénonce les existences trans comme le parangon du techno-capitalisme n’a pas sa place dans nos espaces et nos luttes.
Il n’est pas étonnant que la transphobie, comme le racisme – particulièrement islamophobe – se portent si bien quand, au cœur même de nos luttes, nous sommes incapables de les traiter pour ce qu’ils sont.
Mais nous ne cèderons rien, pas un centimètre de terrain, pas une minute de discours : dans nos lieux, dans nos collectifs, nous affronterons les forces réactionnaires – qu’importe leur bord politique affiché. La Parole Errante est et restera un lieu d’accueil pour toustes, trans, pédés, gouines, personnes non-blanches/racisé.es.
Et ce ne sera jamais un objet de débat : ceci est un terrain de lutte.