La Parole Errante

SAMBA : Municipalités de gauche et fascisation nationale. Sur les politiques de gentrification de nos «banlieues rouges»

Communiqué de la SAMBA : Section Antifasciste Montreuil Bagnolet Alentours

Ah, il fait bon vivre dans la banlieue rouge, hein ? Est-ce qu’on n’est pas bien loin des fachos dans leurs châteaux et leur Côte d’Azur ? Pourtant, le fascisme s’installe aussi chez nous…

En novembre 2023, la mairie « de gauche » de Bagnolet a lancé une pétition adressée au préfet de police de Paris pour « un commissariat de plein exercice » dans la ville, à la place de l’annexe du comico des Lilas qui avait été incendiée au mois de juillet précédent. La pétition, en ligne sur change.org, n’a aujourd’hui récolté qu’un peu plus de 1500 signatures malgré une propagande massive de la commune : affiches aux arrêts de bus, tractages au marché (en compagnie du très « de gauche » Corbière), etc. Soi-disant absente, la police nationale n’a pourtant pas disparu du paysage de Bagnolet depuis la réaction au meurtre de Nahel qui a provoqué cet incendie. Le texte ne manque pas de reprendre la rhétorique répressive du « sentiment de sécurité » et de la « lutte contre les trafics », qu’on retrouve aussi bien à Béziers et à Levallois qu’au ministère de l’Intérieur. On le rappelle, la présence de la police n’a jamais réduit la violence où que ce soit : au contraire elle produit de la violence quotidienne, en réprimant dans tout l’espace public et jusqu’à l’espace privé.

Toujours en 2023, deux mois après les émeutes, la mairie a lancé l’application « Mon Bagnolet », qui permet aux honnêtes citoyen·nes de signaler des incidents aux services de la ville. S’il est effectivement possible de signaler un banc défectueux ou un trottoir abîmé, l’app permet surtout de poucave une poubelle brûlée ou le four du coin de la rue. Bref, en plus de proposer aux habitant·es de s’improviser flics, elle prépare le terrain pour l’arrivée de nouveaux vrais flics, municipaux ou nationaux, qui n’auront qu’à se pencher sur ces signalements. En gonflant les chiffres de pseudo-infractions signalées, le dispositif justifie la pétition de la mairie et alimente la mise en scène du « sentiment d’insécurité ». La mairie construit ses épouvantails et appelle à la rescousse ses chiens de garde.

Ces campagnes ont saturé les panneaux JCDecaux de Bagnolet pendant des mois. La mairie drague ainsi les promoteurs, les investisseurs et les agents immobiliers avec l’argument rebattu de la sécurité. Et ça marche : depuis plusieurs années, le prix des logements augmente fortement à Bagnolet, comme c’est le cas depuis une bonne décennie à Montreuil. Les nouveaux immeubles se multiplient, plus souvent inabordables que du parc social, repoussant plus loin les pauvres. La Place de la Fraternité et la zone reliant la porte de Montreuil à celle de Bagnolet sont ainsi le lieu de grands travaux depuis plusieurs années, suivant la stratégie classique : expulsion, démolition, construction, gentrification. 

La violence de cette méthode était encore plus visible avec l’opération « Place nette » lancée en 2023 par le gouvernement. Le principe : faire des grosses descentes de polices dans les quartiers sous prétexte de lutter contre les trafics de drogue. Au printemps 2024, cette opération a permis au racisme policier de se déployer des Coutures à la Noue en passant par la place de la République. Le 26 juillet et le 18 novembre de la même année, la mairie « de gauche » (encore) de Montreuil prenait un ensemble d’arrêtés interdisant les feux d’artifices, la consommation d’alcool ou encore la vente à la sauvette dans l’espace public [1]. Ces mesures sont des arguments supplémentaires donnés aux flics pour étendre leur pouvoir de nuisance en nous harcelant, nous contrôlant et nous arrêtant dans tous les espaces de sociabilité extérieurs de la ville : ceux où on se retrouve quand on a pas le portefeuille assez épais pour siroter un verre chez le nouveau caviste, ni un salon assez grand pour s’y réunir à plein, quand on revendique aussi le droit à traîner dehors ensemble ou seul·es, quand on refuse le chacun-chez-soi, quand on veut construire des espaces communs, partagés, accessibles et politiques. Nous nous opposons au triptyque « sécurité, salubrité, tranquillité » avec lequel ces mairies « de gauche » soumettent nos villes, nos quartiers et nos existences au contrôle permanent de la police. Leur volonté est claire : virer les personnes non-blanches, les pauvres, les toxicos, les sans-abris, les zonard·es, de l’espace public.

La police a toujours assuré l’élément répressif de la gentrification, et dernièrement elle s’est particulièrement illustrée par des expulsions systématiques et souvent brutales de squats, notamment à Montreuil, Bagnolet et dans les villes alentours. Rien qu’en 2024, au moins 25 squats, lieux de vie, d’organisation, de solidarité et de sociabilité ont été expulsés en Seine-Saint-Denis (selon l’Observatoire des Expulsions [2]). Cette tendance s’accélère depuis l’été 2023 et l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian-Bergé, qui a encore élargi le champ d’action de la police ainsi que la répression judiciaire. Certains des lieux squattés ont déjà été rasés, quand d’autres restent vides, ou bien attendant encore un peu de « prendre de la valeur ». Le squat de personnes exilé·es des Bara est remplacé par un studio-photo, le squat anarcha-féministe-trans-pédé-gouines de la Baudrière par un ensemble de lofts chics, et une friche nouvellement ouverte sur le quartier par… une friche fermée sous surveillance vigile et vidéo. 

La volonté politique de repousser toujours plus loin les personnes expulsées est plus qu’affirmée : certain·es qui n’avaient pas les bons papiers se sont retrouvé·es en CRA puis déporté·es, quand d’autres, adultes comme enfants en bas âge, ont été jeté·es à la rue malgré la trêve hivernale, sans solution de relogement. Ainsi, comme le raconte le communiqué du 22 novembre 2024 des habitant·es du squat de la rue Gambetta à Montreuil [3], quand une trentaine de personnes récemment expulsé·es ont occupé le jardin de l’annexe d’une école vide depuis trois ans afin « de visibiliser le fait qu’il y a des bâtiments vides alors que des personnes dorment à la rue et de demander à la mairie une convention d’occupation précaire de ce bâtiment en parfait état. […] La mairie de Montreuil a refusé de répondre aux emails, aux appels et n’a pas daigné se déplacer. » Deux heures après, et alors que la trêve hivernale avait débuté depuis des semaines et que les températures avaient chuté, le maire Patrice Bessac procédait à une réquisition de la force publique. (Pourtant, juste un mois avant, le 10 octobre, il avait communiqué son soutien au collectif – alors expulsé d’un bâtiment n’appartenant pas à la mairie – et condamné « fermement cette expulsion ».) Le dispositif qui attendait les habitant·es était complètement disproportionné : « 7 camions de CRS et une dizaine de motos de la BRAV-M sont venus renforcer les effectifs des polices municipale et nationale. Des matraques, des boucliers et des lance-grenades ont donc été considérés comme une réponse adéquate à la détresse de personnes cherchant un toit pour l’hiver ». Même chose pour le rassemblement qui a suivi devant la mairie, les CRS et la BRAV-M ont été redéployés en cordon « défendant » l’Hôtel de Ville contre des familles et des voisin·es. Pendant ce temps-là se déroulait le conseil municipal, où le refus de discuter de la situation (et d’accorder même une seule nuit en gymnase) a été présenté comme une résistance à une soi-disant manigance politicienne de l’opposition. Curieusement, l’arrêté d’expulsion a été supprimé rapidement après…

On peut toujours compter sur l’État pour créer plus d’outils répressifs. France Travail, couplé à la réforme du RSA, continue d’œuvrer à vider les rues et les places en forçant tout le monde au boulot, sans que les travaillistes de gauche n’y opposent grand chose. Et dernièrement on a vu l’élaboration de la loi dite Narcotrafic (proposée par le PS et LR et votée en première lecture sans opposition des Ruffin, Corbière ni de la majorité d’EELV ou du PCF). Cette loi élargit la définition de la « criminalité organisée » et contient notamment : l’instauration d’un nouveau régime de torture blanche dans les prisons, la possibilité pour les maires et préfets de fermer des lieux pendant respectivement 1 et 6 mois, d’interdire à des gens de traîner dans certaines zones ou encore pour les bailleurs d’expulser d’un logement toute une famille – pour un quelconque agissement « en lien avec le trafic de stupéfiants ». Patrice Bessac, encore lui, s’est vanté sur france info le 20 novembre 2024 d’appliquer cette loi avant même qu’elle soit votée [4]. À la question d’une journaliste qui lui demande ce qu’il pense d’interdire aux dealeurs l’accès aux HLM, il répond : « Je l’ai déjà mis en œuvre puisqu’on a expulsé dans un certain nombre de nos HLM des familles qui étaient connues pour être des familles favorisant et développant le trafic de drogue ». Il enchaîne en félicitant le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau qui selon lui a des « propositions intelligentes », contrairement à son prédécesseur dont l’opération place nette n’allait pas assez loin.

Dans les anciennes « banlieues rouges », le PCF et le PS bossent main dans la main avec l’Intérieur pour réprimer, selon des lignes aussi racistes que classistes. A cause de la violence des politiques urbaines montreuilloises et bagnoletaises, les squatteur·euses, les exilé·es, les précaires ne sont plus les bienvenu·es (et les seul·es queers acceptables sont celleux qui vont boire des verres à côté du comico). D’autant moins bienvenues qu’elles organisent des solidarités matérielles et politiques par la construction de lieux de partage, de vie commune et d’organisation.

En alimentant la gentrification et la gestion coloniale des quartiers, en expulsant à tour de bras à la Gaîté-Lyrique comme à Montreuil, en participant à la répression de toutes les débrouilles, des refus du travail, des solidarités et des luttes, nos mairies de gauche sont actrices de la fascisation. Elles doivent donc être combattues en tant que telles. Elles aussi traitent la valeur de certain·es vies comme pesant moins que celle des autres. L’horizon qu’elles co-construisent avec le gouvernement et l’Extrême-Droite est toujours plus inégalitaire, capitaliste et raciste, et nous mène vers une exploitation et une atomisation toujours plus violentes. Face à tout ça, la solidarité populaire est notre meilleure arme. Organisons-nous partout contre le mal-logement, le racisme d’État, l’enfermement et les expulsions !

La SAMBA – Section Antifasciste Montreuil Bagnolet et Alentours

https://samba93.wordpress.com/2025/06/14/municipalites-de-gauche-et-fascisation-nationale/

Références
[1] : https://publiact.fr/documentPublic/466116
https://publiact.fr/documentPublic/384858
https://publiact.fr/documentPublic/384857
https://publiact.fr/documentPublic/380329

[2] : https://www.romeurope.org/wp-content/uploads/2024/12/Rapport-Observatoire-des-expulsions_2024_version-web.pdf

[3] : https://laparoleerrante.org/expulsion-du-squat-gambetta-a-montreuil/

[4] : https://xcancel.com/franceinfo/status/1859187564294390228

24 juin 2025
24 juin 2025

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